Temps et mythes : Trois figures de jardin dans L'Odyssée - Extraits et question

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La Grotte de Calypso, Jan Brueghel l'Ancien

Pour Voltaire, le meilleur des mondes était celui qui vous permettait de cultiver votre jardin. Idéal autarcique, le jardin est d'abord celui d'Éden, d'où seront chassés Adam et Ève.

On ne peut omettre les pommes d'or du jardin des Hespérides, dans la mythologie grecque, en tant que travail herculéen. Enfin, les jardins suspendus de Babylone, impulsés par Nabuchodonosor II vers -600, appartiennent aux sept merveilles du Monde antique.

Penchons-nous précisément sur Ulysse, qui dans L'Odyssée, rencontre trois jardins : le premier, celui de Calypso, est une demeure divine, les deux autres, ceux d’Alcinoos et de Laërte, appartiennent à des humains.


Le jardin de Calypso. Odyssée, Chant V, vers 55 à 75

"... bientôt il atteint la grotte spacieuse qu'habité Calypso, la nymphe à la belle chevelure. Mercure trouve la déesse dans l'intérieur de sa demeure : un grand feu brillait dans le foyer, et au loin s'exhalait le suave parfum du cèdre et du thuya fendus. Calypso, retirée du fond de la grotte, chantait d'une voix mélodieuse, et s'occupait à tisser une toile avec une navette d'or. — Autour de cette demeure s'élevait une forêt verdoyante d'aunes, de peupliers et de cyprès. Là, venaient construire leurs nids les oiseaux aux ailes étendues, les chouettes, les vautours, les corneilles marines aux larges langues, et qui se plaisent à la pêche (02). Là une jeune vigne étendait ses branches chargées de nombreuses grappes. Là, quatre sources roulaient dans les plaines leurs eaux limpides qui, tantôt s'approchant et tantôt s'éloignant les unes des autres, formaient mille détours ; sur leurs rives s'étendaient de vertes prairies émaillées d'aches et de violettes. Un immortel qui serait venu en ces lieux eût été frappé d'admiration ; et, dans son cœur, il eût ressenti une douce joie."


Le jardin d’Alcinoos. Odyssée, Chant VI, vers 112 à 133

Le lieu : en revenant de l’île de Calypso, Ulysse, après son dernier naufrage, aborde l’île des Phéaciens, qu’Homère nomme Schéria, que l’on a identifiée à Corfou, et dont Alcinoos est le roi.

Il s’agit bien ici, à proprement parler d’un « jardin » : le terme grec désigne clairement des « rangées », d’arbres ou de ceps, des « allées » plantées. Il se compose d’un verger où l’on retrouve tous les fruits propres à la végétation méditerranéenne : poires, grenades, pommes, oliviers, figues, raisins, et d’un potager où les légumes sont cultivés avec soin. Rien n’est « gratuit », c’est un jardin d’homme, « quatre arpents » étant la surface que l’on laboure en une journée. Néanmoins, cette succession ininterrompue de fruits aux fruits, cette « merveilleuse fécondité » donnent à cette réalité rustique une autre dimension : Ulysse, comme auparavant Hermès, - et le vers est identique - reste absorbé par l’observation du spectacle qui ravit l’âme humaine.

Le jardin est donc, dans la littérature homérique, un lieu dans lequel l’homme éprouve du bonheur. Mais de quel bonheur s’agit-il ? On peut avoir envie de découvrir pourquoi, dès l’Antiquité, le jardin est lié au bonheur. Quelles représentations faut-il chercher ?... La langue d’Homère, peut-être, nous livre-t-elle la réponse, s’il est vrai qu’une langue exprime la vision du monde de ses locuteurs. Or, si l’on examine le genre grammatical des noms d’arbres dans les textes de l’Antiquité, on constate qu’ils sont féminins. Avons-nous, ici, la réponse ? De même que le petit d’homme trouve sa nourriture - et son bonheur - dans le lait de sa mère naturelle, de même, en grandissant, l’homme qu’il devient trouve sa nourriture - et son bonheur - auprès d’une autre mère : la Terre nourricière ... Le jardin est donc un enclos de générosité et de bonheur.


Le jardin de Laerte. Odyssée, Chant XXIV, vers 220 à 350

Le lieu : Ulysse a enfin regagné sa terre natale d’Ithaque, - qui est aussi une île - , située près de la côte occidentale de la Grèce, dans la mer Ionienne. Il n’est pas inintéressant de noter qu’il s’agit de la scène de reconnaissance du fils par son père , dans ce chant qui clôt l’Odyssée.

Il s’agit du même verger-potager - le terme grec est le même - que chez Alcinoos. Mais ici s’ajoute la description du jardinier et de ses attributs : guêtres contre les ronces, gants contre les épines et chapeau contre le froid. L’usure et la saleté des habits expriment le désespoir du vieux Laërte privé de son fils depuis vingt ans mais c’est dans son jardin qu’il trouve la force de supporter son chagrin. Il semble donc bien que le jardin soit le lieu privilégié dans lequel l’homme retrouve un bonheur.

Outre sa beauté et sa générosité, le jardin est un espace clos garant de la véracité, ici de la véracité des liens familiaux. Plus que la cicatrice, c’est grâce aux arbres qu’il lui a appris à nommer et à reconnaître que Laërte a établi son statut de père et qu’il reconnaît celui de son fils. Ce don exprime la preuve de la filiation paternelle. Il s’ajoute donc ici une connotation de morale informulée


Question 

Dégage les points communs et différences entre ces jardins.

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